Jean-Claude Prêtre

Peintre

D’après Suzanne, 1992

D'après-Guido-Reni

D'après Guido Reni, 1992

 

 

Visite à l’atelier de Jean-Claude Prêtre
LA BELLE BAIGNEUSE MISE A NU
PAR SES ADMIRATEURS MÊMES

Françoise Jaunin

« Suzanne et les vieillards » par Tintoret, Delacroix, Rubens ou Martial Raysse. « Suzanne au bain » par Rembrandt, Böcklin ou Altdorfer. « La chaste Suzanne » par Gustave Moreau, Véronèse ou Chassériau. Et tant d’autres encore qui font de la biblique Suzanne de Babylone l’un des personnages clés de toute l’histoire de l’art occidental. Durant presque dix ans, Jean-Claude Prêtre a admiré, inventorié, analysé et réinterprété à sa façon toutes les Suzanne de la peinture. A la manière d’un musicien qui n’en finit pas de décliner des variations sur son thème, il a conjugué Suzanne à tous les temps et tous les styles, fait d’elle l’objet de toutes les métaphores, paraphrases et même anamorphoses, réinventé à travers elle et «  à la manière de… » son histoire de l’art personnelle. Parfois il l’a détournée de son passé en lui présentant une demoiselle d’Avignon, l’invitant à Giverny dans le jardin de Monet ou la dissimulant dans les frondaisons flamboyantes d’une colline fauve. Parfois aussi, il l’a promenée du côté de chez Marcel Duchamp ou Lucio Fontana. Parfois encore, il a recouvert de voiles vaporeux et de poussières d’or les images anciennes de sa lumineuse nudité. Jean-Claude Prêtre se plait à se reconnaître dans la formule de ce critique d’art qui a vu en lui un néo-dadaïste démontant son jouet préféré pour le recoller à sa (ses) manière(s).

Mais pourquoi cette étrange et gigantesque entreprise, dont l’artiste s’empresse de préciser qu’elle n’est que le premier volet d’une trilogie qui devrait l’occuper jusqu’à l’an 2000 et même au-delà ? Au commencement de toute l’affaire, il y a le Tintoret et sa « Suzanne et les vieillards » (1557) du Kunsthistorisches Museum de Vienne, dont le Jurassien de Genève est tombé éperdument amoureux et dont il dit que c’est le tableau qui lui a tout appris. Dans Suzanne se regardant dans le miroir sous le regard clandestin et plein de désir des vieillards (qui renvoie à celui du spectateur), il voit une allégorie de la peinture elle-même. C’est, assure-t-il, le premier tableau conceptuel de l’histoire. C’est donc de là qu’il a décidé de partir pour « réinterroger avec mes moyens de peintre toute la peinture à partir de la Renaissance », pour « redonner la parole aux peintres que j’aime » et pour « régler une fois pour toutes cette sorte de relation œdipienne que j’avais avec le passé ». Suzanne unique objet de son désir… En réalité « Suzanne n’est pas le sujet de ma peinture. Le vrai sujet est la peinture ».


Suzanne en vue d'Ariane 2, 1991

 

Ainsi donc, depuis 1981, toute la peinture de Jean-Claude Prêtre a pris la forme d’un palimpseste, procédant par superpositions, effacements, reprises et variations. 121 Suzanne au total, dont la 121e est le livre monumental (le musée idéal de Suzanne) qui les contient toutes, en regard de celles de l’Histoire. Au bas de la liste prestigieuse des quarante signatures « suzanniennes » qui y sont recensées, Jean-Claude Prêtre en a donc ajouté une quarante-et-unième : la sienne. A son interrogation par l’image répondent les analyses de textes savants (signés par lui-même et par des historiens de l’art) qui réécrivent à leur tour une histoire de la peinture vue comme « une manifestation travestie des processus inconscients ».

Au bout de dix ans de « concubinage » durant lequel il admet avoir malmené la dame, l’avoir dévoyée, morcelée et mise dans tous ses états, il en arrive à ce constat magnifique : on peut s’approcher du mystère du tableau, on ne l’épuise jamais. Impénétrable et transparente, telle lui apparaissait et lui apparaît encore la Suzanne de Tintoret « avec son aura de miel ». Tenter à travers elle de dire quelque chose de nouveau sans se couper du passé, tel fût le défi de l’aventure. Il l’a relevé avec une maestria éblouissante autant que « caméléonienne ». Où se cache l’artiste dans ce brillant jeu de rôles qui le montre rompu à toutes les manières et toutes les virtuosités ? Plus que dans les toiles et leur vaste fresque qui dresse un impressionnant morceau d’anthologie aux multiples facettes, c’est peut-être sa dernière suite, « D’après Suzanne, le procès du modèle 2 », qui est la plus personnelle. Travaillant sur des reproductions de ses multiples Suzanne historiques, il intervient avec des matières fluides et transparentes qui ne laissent que partiellement affleurer l’image, tandis que leurs coulures nacrées et leurs irisations, leurs flous lumineux et leurs paillettes dorées simulent les somptueuses patines du temps : moisissures, craquelures ou lichens aux dessins raffinés qui rappellent les préciosités et les mélancolies infinies d’un Gustave Moreau. L’image de Suzanne s’y estompe de plus en plus, s’y défait et finit par se fondre tout à fait dans des chatoiements d’émaux et des lambeaux de brumes mauves ou orangées.

Si Jean-Claude Prêtre a désormais refermé le livre de Suzanne, c’est pour mieux suivre le fil d’Ariane. Le deuxième volet de sa trilogie est en effet consacré à la fille de Minos…

In. VOIR, LE MAGAZINE DES ARTS, n° 103, février 1994, pp. 38-39

 


D'après la Suzanne de Bourges, 1992

 

Jean-Claude Prêtre – après la fermeture de la Galerie Marie-Louise Jeanneret, Art moderne qui l’a exposé à Genève et dans son Centre d’Expérimentation artistique de Boissano en Italie – rejoint la Galerie Andata/Ritorno, en 1993, avec l’exposition D’après Suzanne, le procès du modèle 2.

D’après Suzanne est une série d’œuvres faite à la suite de la série Suzanne, le procès du modèle, premier volet de la trilogie « Ariane, Danaé, Suzanne » commencée à la fin des années 70.

Cette première exposition personnelle à la Galerie Andata/Ritorno fait suite à la rétrospective « Suzanne, le procès du modèle » au Musée d’art moderne, Palais Liechtenstein de Vienne, en 1991. Elle en est une extension et la conclusion.

L’exposition viennoise montrait les 121 variations faites durant la décennie 1980-90 d’après le tableau Suzanne et les vieillards du Tintoret dans la collection du Kunsthistorisches Museum de Vienne. L’exposition genevoise donne à voir des œuvres faites d’après l’iconographie peinte du thème de Suzanne.
Jean-Claude Prêtre est le premier artiste « historien » à avoir rassemblé dans une publication le plus grand ensemble de Suzanne peintes qui couvre une période allant du premier art chrétien (sous Constantin Ier, 270-337) au XXe siècle. (Voir La Bibliothèque des Arts, Paris : Suzanne, 1990 et Susanna, version allemande, 1991).

C’est à partir de cette recherche iconographique et à la suite de l’exposition de Vienne – dès juillet 1991 et jusqu’en fin 1992 – que voulant rendre hommage aux artistes réunis dans son iconographie, le peintre a « revisité » chacune de ces œuvres anciennes sur le thème de Suzanne.

 

En exergue de cette dernière série d’œuvres, deux fragments sont cités ci-dessous extraits de la présentation de l’exposition par Lóránd Hegyi, conservateur du Musée d’art moderne de Vienne. «  Ancien » et « moderne », à propos de la Suzanne de Jean-Claude Prêtre dans le catalogue Suzanne, le procès du modèle :

« … La modernité n’est pas simplement la découverte du présent, mais aussi le dévoilement du présent tel qu’il se manifeste dans le passé. Le cycle Suzanne de Jean-Claude Prêtre est fondé sur la perpétuation de cette  tradition moderne. »

« … L’expérience de Prêtre est l’expérience de la peinture même. Et aucune métaphore n’était plus appropriée à cette entreprise que l’un des sujets dominants de la peinture (de la peinture européenne) : le nu féminin. »

Lóránd Hegyi

 


Suzanne d'après Edouard Manet 2, 1991

Oeuvres exposées à la Galerie Andata/Ritorno, Genève

Oeuvres exposées à l’atelier

Suzanne d'après Artemisia Gentileschi, 1991

 

 

 

VERNISSAGE (Photographies Karola Hardt, exceptées celles avec mention particulière)

Vernissage offert par la Fondation Moët et Chandon suisse pour l'Art

 

 

Textes du catalogue de l’exposition J.-C. Prêtre D’après Suzanne

Exposition du 10 novembre au 11 décembre 1993, catalogue, 1000 exemplaires, 193 pages

D’après Suzanne : Invitation D’après Suzanne : Catalogue

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