Jean-Claude Prêtre

Peintre

Ariane, le Labyrinthe, 1984-1998

Tintoret, Le Miracle à l'esclave, 1547, 416 x 544 cm, Galerie de l'Accademia, Venise

 

Durant la décennie (1980-90), le peintre JC Prêtre a réalisé 121 variations d’après Suzanne et les vieillards du Tintoret (1557), une œuvre de la collection du Kunsthistorisches Museum de Vienne. Cette série de peintures a été exposée au Musée d’art moderne, Palais Liechtenstein, en 1991.

Durant la décennie suivante (1991-98), le peintre a choisi de mettre sa nouvelle série de peintures Ariane sous l’ « égide » d’une œuvre emblématique de jeunesse du Tintoret. Il s’agit du Miracle à l’esclave, peint en 1547 – dix années avant la Suzanne viennoise – aujourd’hui, dans la collection de la Galerie de l’Accademia, à Venise. Il n’a fait de cette peinture qu’une unique variation – la première de la série Ariane – préférant travailler sans modèle, privilégier un face-à-face sans repères et assumer pleinement le fait d’être à la tête de « plusieurs âmes » qui ont pour noms : Minos Pasiphaé, Ariane, Phèdre, Dédale, Icare, le Labyrinthe, Minotaure, Thésée, Hippolyte, Dionysos…

Durant l’été 1998 (27 juin – 6 septembre), un important aperçu de cette recherche a été exposé à la Collégiale de Saint-Ursanne (Cloître, Musée lapidaire, Caveau). L’exposition – sollicitée à l’occasion de la Biennale d’été par ARCOS avec le soutien du Gouvernement de la République et Canton du Jura –  montrait les principaux aspects de ce travail sur le thème du cycle crétois, réunis sous le titre Ariane, le Labyrinthe.

 

JC Prêtre, Ariane 1. Scène du Labyrinthe pour Tintoret, 1984

 

Ariane, le Labyrinthe est le deuxième volet de la trilogie « Ariane, Danaé, Suzanne » commencée à la fin des années 70.

« Ariane, Danaé, Suzanne », trois femmes, l’une d’origine biblique, les deux autres issues de la mythologie grecque, trois thèmes de la peinture, trois manières de se rendre compréhensible le « monde » en le réinventant plutôt qu’en se l’appropriant comme le font nombre d’artistes à la suite de Marcel Duchamp.

Au début des années 80, les trois thèmes de la trilogie partagent les mêmes conditions de travail. Les 21 premières œuvres – sept peintures pour chaque thème – sont apparentées par la période commune durant laquelle elles sont créées et par leur présentation à la Galerie Marie-Louise Jeanneret, Art moderne, Genève, en 1984 (voir sur le site « Ariane, Danaé, Suzanne »), puis à la Brompton Gallery de Londres, en 1985.

Ariane, 1984-1985

 

« Ariane, la peinture considérée comme un Labyrinthe où se croisent les desseins de la ruse et de l’instinct… Ariane, la peinture qui ne connaît pas de séparation entre le passé et le présent, la métrie et l’inconscient, l’abstraction et la figuration, la perspective et l’espace réduit à deux dimensions. » JCP

 

Ariane abandonnée 2 (d'après Vélasquez), 1992

Ariane, 1991-1992

Ariane, 1992-1994

 

Ariane, le Labyrinthe, 1996-1998

 

« Alors que la série Suzanne, le procès du modèle est un long face-à-face exclusif avec une œuvre réfléchissant le savoir encyclopédique d’un grand maître Vénitien du XVIe siècle, les séries Ariane, le Labyrinthe et Danaé, libre lumière – parfois également à l’origine de quelques confrontations de même nature – sont d’abord de libres tentatives de peindre sans limites fixées à l’imagination. » JCP

 

 

Tamarilles et alizés, 1996

 

 

« Parmi vos œuvres récentes, je me suis longtemps attardé à celle que vous intitulez Tamarilles et alizés. Elle date de l’an passé. La raison de ce temps d’arrêt que mes yeux ont marqué devant elle, tient pour une part à l’étrangeté musicale de son titre. Elle tient surtout à un caractère saisissant de cette image où deux données contraires sont opposées : une grande étendue rouge, sans forme distincte qu’on y perçoive au premier regard et, d’autre part, toute une suite de formes, celles-ci très nettes et strictement alignées dont plusieurs sont identifiées comme des fruits. Le contraste est vif entre ces deux termes. La couleur rouge est un de ces « voiles » ou tissu de couleur  qui renvoient à ce que vous dites sur les « fines couches de peinture », sur les « glacis » par quoi vous commencez le travail de la toile. Il faut une grande attention des regards pour découvrir, sur ce fond, quelques repères légèrement marqués : ils sont en forme d’angles droits et on peut y déceler la forme d’une étagère où se trouvent donc alignés les billes et les fruits. Cette sorte d’alignement et cette sorte d’objets font évoquer la structure de bien des natures mortes que réalisaient les peintres dans le passé. L’essentiel ne réside nulle part ailleurs, à ce que je crois, que dans cette opposition que j’ai dite, si forte, si insistante, si captatrice des regards, qui se joue entre un fond peu déterminé et la netteté formelle qui caractérise billes et fruits dans leur apparence colorée.

Mais c’est une véritable logique visuelle qui est ici active, dans cette opposition soulignée entre forme et informe. Je la trouve aussi bien à l’œuvre dans le tableau que vous intitulez Du verger d’Ariane et que vous avez peint, lui aussi, l’an passé. (…) Les fruits de la terre et les formes géométriques des billes, Ariane et Thésée, sont ce qu’on nomme des « thèmes » picturaux : des références à la culture commune, tant picturale que littéraire. Ces thèmes peuvent indifféremment donner corps à ce que je nomme une même obsession « logique », dont la répétition, dans des tableaux à thèmes différents, révèle le caractère déterminant, essentiel.

Mais à poursuivre cette réflexion, voici qu’un de ces thèmes m’arrête : le thème du Labyrinthe se découvre dans vos œuvres sous des aspects variés. Il y subit des métamorphoses et, cependant, il demeure le même : ici et là, je puis l’identifier. Sans doute est-ce que, dans vos peintures, le Labyrinthe n’est pas une figure comme les autres. Peut-être est-il, lui, ce qu’on pourrait nommer une figure matricielle. »

Marc Le Bot
Extrait de la lettre du 9 septembre 1997 à JCP


Œuvres exposées à la Collégiale de Saint-Ursanne : Cloître

Œuvres exposées à la Collégiale de Saint-Ursanne : Musée lapidaire

Œuvres exposées à la Collégiale de Saint-Ursanne : Caveau

 

VERNISSAGE (Offert par la Fondation Moët et Chandon suisse pour l’Art – Photographies Philippe Prêtre)

Michel Butor, JCP, Alexandre Voisard, cloître de la Collégiale de Saint-Ursanne

 

 

Textes du catalogue Ariane, le Labyrinthe

Textes et peinture, s’ils s’appuient certes sur le mythe crétois – ses personnages et ses péripéties avec pour cadre le Labyrinthe – n’en réactualisent pas pour autant les thèmes de manière illustrative, mais en usent comme de métaphores de leurs propres langages : il s’agit bien ici de la recherche de la maîtrise poétique du temps et de l’espace dans le lieu de l’heureuse imprévisibilité de la création.

Et la conversation (pour vous et moi notre correspondance) a cette vertu de relancer chacun des partenaires dans cette quête sans fin de ce qui l’obsède : de ce fond obscur en lui qui le fait penser. C’est que l’art ne connaît jamais de « vérité » achevée. Il nous reconduit sans cesse, pour reprendre vos propres termes, à faire et à refaire l’expérience de l' »énigme » que chacun de nous est à lui-même comme il l’est aux autres. S’il y a, dans l’art, une quelconque vérité qui serait universelle, ce serait celle-là : c’est à partir de ce qui nous est énigmatique qu’on pense.
Marc Le Bot
extrait de la lettre du 30 octobre 1995 à JCP

La première partie du catalogue Le Labyrinthe inondé (pp. 9-128) – précédée de la citation de Marc Le Bot – comprend une iconographie sélective du thème (Art mycénien, crétois, étrusque, béotien, pompéien,  Andrea Pisano, Maître des Cassoni Campana, Bruegel l’Ancien, Giovanni Bellini, Titien, Tintoret, Alessandro Allori, Le Caravage, Nicolas Poussin, Les Frères Le Nain, Carracci) et un choix d’œuvres représentatif de la démarche de JC Prêtre durant la décennie consacrée au thème d’Ariane. Les textes qui l’accompagnent sont :

Il est bien qu’existe une oeuvre aussi raffinée, aussi nourrie de culture, aussi capable de faire de celle-ci une source et non de s’y perdre. Et d’Ariane à Dionysos passe un flux que je sens qui est votre vraie possible modernité : c’est le sentiment que j’ai ressenti toujours devant les Noces de Bacchus et d’Ariane de Poussin, une oeuvre que vous devez aimer.
Yves Bonnefoy

La deuxième partie du catalogue Rêveries mythologiques (pp. 129-246) – précédée de la citation d’Yves Bonnefoy – reproduit l’œuvre raisonné de la série Ariane de JC Prêtre.

Non plus la terre, plus la terre.
Catherine de Gênes

La troisième partie du catalogue Le fil d’Ariane (pp. 247-299) – précédée de la citation de Catherine de Gênes – présente une biographie de l’artiste enrichie de citations de textes de critiques, d’écrivains, de directeurs de musées.

Affiche, affichette

Invitation pour l’exposition à la Collégiale de Saint-Ursanne

Livre Ariane, le Labyrinthe

Partie 1 (pp. 1 – 41)

Partie 2 (pp. 42 – 89)

Partie 3 (pp. 90 – 137)

Partie 4 (pp. 138 – 185)

Partie 5 (pp. 186 – 233)

Partie 6 (pp. 234 – 281)

Partie 7 (pp. 282 – 304)

Marc Le Bot

 

Marc Le Bot est l’auteur de plusieurs essais sur l’art, de monographies sur des peintres et d’ouvrages poétiques et littéraires. Il participe activement à la vie culturelle par ses articles, ses prises de position à la radio et à la télévision.
Marc Le Bot a ouvert la voie aux recherches universitaires en matière d’art contemporain. Il fut  en effet le premier, en 1965, à devenir professeur d’histoire de l’art contemporain, à l’époque une gageure. Il dirigea jusqu’à sa retraite, en 1989, le Centre de recherches en art contemporain qu’il avait ouvert en 1973. Il a été professeur à l’Université de Paris I.
Marc Le Bot a accompagné le travail de Jean-Claude Prêtre dès 1983 jusqu’à son décès le 25 mars à Paris en 2001, à 79 ans.

Principales publications

Francis Picabia et la crise des valeurs figuratives, Paris, Éditions Klincksieck, 1968
Valerio Adami, Éditions Galilée, 1975
Figures de l’art contemporain, Paris, UGE, 1976
Figures de l’art contemporain, Paris, 10/18, 1977
Les parenthèses du regard, Paris, Fayard, 1979
Vladimir Velickovic, Éditions Galilée, 1979
L’œil du peintre, Paris, Gallimard, 1982
Images du corps, Aix, Présence contemporaine, 1986
Une blessure aux pieds d’Œdipe, Paris, Plon, 1989
Images, magies, Aix, Présence contemporaine, 1990
Paul Klee, Paris, Adrien Maeght, 1992
Les yeux de mon père, Paris, POL, 1992
La partie du soprano solo dans le chœur, Paris, POL, 1994
Quel ange n’est terrible ?, Paris, POL, 1995

Voir autres publications de Marc Le Bot sur Internet (ouvrages chez Klincksieck, 10/18, Fayard, Gallimard, André Dimanche, Présence contemporaine, Brandes, Galilée, Fata Morgana, Plon, Colodion, Adrien Maeght, Assouline, P.O.L).

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